06/09/2012

L'huile de palme, nouvel eldorado pour l'Afrique ?


6 septembre 2012



Greenpeace demande la suspension des projets de culture qui se font aux dépens de la forêt et des populations


Parti d'Afrique à la conquête de l'Asie du Sud-Est au siècle dernier, le palmier à huile fait un retour fracassant sur son continent d'origine. Depuis deux ans, les projets d'investissement dans la production d'huile de palme se multiplient dans la zone intertropicale africaine, au point qu'une conférence continentale est organisée à Accra, au Ghana, mercredi 5 et jeudi 6 septembre, pour permettre aux investisseurs, chercheurs et organismes financeurs d'échanger.
Simultanément, mercredi 5, Greenpeace et une autre ONG, Oakland Institute, publient deux rapports dénonçant les conditions dans lesquelles se font ces investissements, critiquant en particulier le projet de la société américaine Herakles. Celle-ci a signé, en 2009, avec le gouvernement camerounais, un contrat de location pour quatre-vingt-dix-neuf ans de 73 000 hectares de terres situés dans le sud-ouest du pays, afin d'y cultiver le palmier et d'y produire de l'huile de palme. " Cette vague soudaine de contrats fonciers et d'investissements (...) risque de conduire à une déforestation à grande échelle, à des modifications climatiques, à des abus sociaux et à la perte d'une partie des terres cultivées par les communautés villageoises ", avertit Greenpeace.
L'ONG Grain a dénombré une trentaine de projets d'investissement dans les plantations de palmiers à huile en Afrique, dont un de 180 000 ha au Congo, porté par une entreprise malaisienne. Le groupe singapourien Olam, a annoncé, en janvier, qu'il comptait investir 250 millions de dollars (200 millions d'euros) dans la production d'huile de palme au Gabon. " Chaque pays veut devenir le premier producteur africain d'huile de palme ", estime Frédéric Amiel, de Greenpeace France.
Cet engouement s'explique par au moins trois facteurs : la disponibilité de terres, l'augmentation de la demande et les perspectives de juteux retours sur investissement. Selon un rapport de la banque japonaise Nomura, cité par le magazine Jeune Afrique, l'Indonésie et la Malaisie, qui assurent 85 % de la production mondiale actuelle d'huile de palme, ne disposeront plus dans dix ans de terres exploitables. " Alors que l'Afrique dispose d'une énorme réserve de terres arables non cultivées ", reconnaît Mouhamadou Niang, de la Banque africaine de développement.
Les grandes entreprises du secteur - asiatiques en majorité - n'ont pas tardé à prospecter de ce côté de la planète. " Nous avons l'expérience pour aider l'Afrique à éradiquer la pauvreté et à assurer sa sécurité alimentaire ", affirme Supramaniam Ramasamy, directeur des plantations chez Olam.
L'huile de palme, dont l'Afrique est importatrice nette, est devenue la première huile végétale consommée dans le monde, avec 39 % d'un marché en pleine progression, loin devant le soja, le colza et le tournesol. Selon la Banque mondiale, " 28 millions de tonnes d'huiles végétales supplémentaires devront être produites chaque année d'ici à 2020 " en raison de la croissance démographique et de la demande alimentaire et ce, sans même tenir compte de l'utilisation des oléagineux pour produire des agrocarburants.
Malgré sa mauvaise image dans certains pays occidentaux, en particulier en France, l'huile de palme est la mieux placée pour répondre à ce défi : malgré la hausse de son cours, elle reste la plus économique des huiles végétales. Et la productivité du palmier à huile lui permet d'utiliser - à production égale - de six à neuf fois moins de terres que les autres oléagineux.
" Le palmier est une usine à huile, qui peut produire jusqu'à six tonnes par hectare et rapporter de 2 000 à 3 000 dollars - 1 600 à 2 400 euros - par hectare et par an, s'enthousiasme Alain Rival, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Aucune culture, à part parfois l'hévéa, ne rapporte autant. "
Il n'est pas besoin d'aller chercher plus loin les raisons de l'engouement pour la culture du palmier à huile, les mêmes qui ont conduit l'Indonésie et la Malaisie à sacrifier pendant des années leurs forêts primaires à la rente qui s'offrait à elles. Mais la déforestation a conduit la Banque mondiale à suspendre ses investissements dans la filière en 2009 et les pays importateurs occidentaux à exiger la mise en place d'une certification.
L'huile de palme peut-elle être une chance pour l'Afrique de faire sortir une partie de sa population de la pauvreté, comme ce fut le cas en Asie du Sud-Est, ou le continent risque-t-il, une fois encore, de voir lui échapper les profits tirés de cette culture ? " L'huile de palme, c'est très bien, mais pas n'importe où et pas n'importe comment ", lance Patrice Levang, agroéconomiste à l'Institut français de recherche pour le développement.
La Banque mondiale a rappelé que le respect d'un certain nombre de critères sociaux et environnementaux était indispensable. En premier lieu, la consultation et l'accord des communautés concernées, le respect des zones forestières à haute valeur de conservation, l'intégration dans ces projets d'agriculture intensive des petits planteurs et producteurs ou encore la sécurisation des droits fonciers.
Autant de critères que les ONG accusent certains investisseurs et certains Etats de ne pas respecter au moment de signer des contrats à l'avantage quasi exclusif des premiers nommés. Patrice Levang estime nécessaire l'instauration de plans nationaux de développement durable du palmier à huile en Afrique. En attendant que ce soit le cas, Greenpeace demande la suspension des " projets agro-industriels prévoyant des concessions de terres à grande échelle ".
Gilles van Kote
© Le Monde

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